Aspects génétiques et génomiques des cancers de prostate

Génétique constitutionnelle (ADN extrait de sang ou salive)

Prédisposition génétique

Les formes de cancer de prostate « à prédisposition héréditaire » sont rares (environ 5% des cancers de la prostate). Elles sont suspectées dans des familles avec des profils particuliers : présence de nombreux cas (plus de 3) de cancers de la prostate ou d’autres cancers chez des parents proches (parents, frères, sœurs, enfants, oncles ou tantes), ou de deux cas avec un âge inhabituellement précoce de début de la maladie (avant 55 ans) [Figure]. Ces formes héréditaires, dites monogéniques, résulteraient de l’existence d’une anomalie génétique (mutation délétère) héritée du père ou de la mère, qui donnerait un risque élevé (plus de 80%) de développer un cancer de la prostate. Ces formes relèvent du conseil oncogénétique et leur rareté a conduit à les considérer comme des maladies orphelines. (Cussenot & Cancel-Tassin, 2015*; Rozet et al., 2018*).

A ce jour, les principaux gènes qui ont été identifiés pour ces formes héréditaires sont BRCA2 (gène de réparation de l’ADN prédisposant aux cancers de sein et de l’ovaire) et HOXB13, dont la mutation G84E est retrouvée chez 4,6% de ces patients (Leongamornlert et al., 2014 ; Xu et al., 2013*). Les mutations de ces deux gènes sont associées à un âge précoce de survenue, et des formes plus agressives de la maladie pour BRCA2. En plus de BRCA2, des mutations, moins fréquentes, d’autres gènes de réparation de l’ADN ont été rapportées pour ces formes héréditaires : ATM, BRIP1, CHEK2, BRCA1, MUTYH, PALB2, et PMS2. Au total, 7,3% des patients avec une forme héréditaire de cancer de prostate présenteraient une mutation constitutionnelle d’un gène de réparation de l’ADN, dont près de 29% seraient une mutation du gène BRCA2 (Leongamornlert et al, 2014). Ces mutations des gènes de réparation de l’ADN (en particulier BRCA2) prédisposent à la fois au cancer de la prostate et au cancer du sein.

Si des mutations de ces gènes de réparation ont d’abord été identifiées dans les formes héréditaires, elles sont les plus fréquentes dans les formes métastatiques de cancer de prostate, puisque 12% de ces patients portent une de ces mutations constitutionnelles (Pritchard et al., 2016).

Les autres gènes impliqués dans les formes héréditaires de cancer de prostate restent encore à identifier.

Susceptibilité génétique

La majorité (95%) des cancers de la prostate correspond à des formes « multifactorielles », où les facteurs génétiques dits à risque sont une combinaison défavorable issue du mélange du patrimoine génétique du père et de la mère ; on parle d’hérédité polygénique. Cette combinaison de variants génétiques interagit avec des facteurs de l’environnement (pollution, alimentation…) qu’ils soient aggravants ou protecteurs. Ces facteurs génétiques associés aux formes « multifactorielles » expliquent que les cancers de la prostate soient plus fréquents dans certaines populations (risque plus élevé dans les populations d’origine africaine), et également, à l’échelle individuelle, que certains cancers de la prostate soient plus agressifs que d’autres (augmentation du risque de métastase ou moins bonne réponse à certains traitements, par exemple).

Hérédité polygénique

A ce jour, plus de 170 variants génétiques de susceptibilité au cancer de prostate, répartis sur l’ensemble du génome, ont été identifiés (Schumacher et al., 2018* ; Conti et al., 2017*). Chacun de ces variants augmente faiblement le risque de développer un cancer de prostate (1,2 à 1,5), mais leur combinaison la plus défavorable peut le multiplier par 5,7.

Une région située sur le bras long du chromosome 8, en 8q24, semble particulièrement impliquée dans le risque de développer un cancer de prostate. En effet, dans cette région, 12 variants de susceptibilité au cancer de prostate indépendants ont été identifiés (Matejcic et al., 2018*). Parmi eux, un variant situé dans le long ARN non codant CASC19 (gène transcrit en ARN mais non traduit en protéine) confère à lui seul un risque multiplié par trois. Ce variant, très rare dans la population générale (sa fréquence est de 1,5%), est d’autant plus intéressant qu’il semble également impliqué dans les formes héréditaires de cancer de prostate. Ainsi, il a été retrouvé avec une fréquence atteignant 4,3% dans ces formes héréditaires (Teerlink et al, 2016*).

Génomique somatique (ADN de la tumeur)

Le processus de cancérisation de la prostate se caractérise par une acquisition et une accumulation d’altérations génétiques au sein des cellules tumorales, qui déterminera l’aptitude de ces cellules cancéreuses à proliférer de façon incontrôlée, à disséminer dans l’organisme (métastases) et à échapper aux traitements (radio ou hormono-résistance). Les cancers de la prostate sont caractérisés par différents profils évolutifs qui reflètent l’hétérogénéité moléculaire des altérations génétiques acquises au sein de ces tumeurs.

Différence entre une mutation constitutionnelle et une mutation somatique (tumorale)

Grâce aux avancées technologiques de ces dernières années, des analyses moléculaires tout génome (séquençage de nouvelle génération, puces d’expression, de méthylation,…) ont été réalisées à partir des tumeurs prostatiques. Plusieurs classifications moléculaires de ces tumeurs ont été établies qui peuvent être liées ou non à l’évolution de la maladie (Angeles AK, et al, 2018). Ce « profiling » moléculaire des tumeurs, appelé aussi « signature moléculaire » ou « carte d’identité » des tumeurs est un axe de recherche important pour identifier le traitement le plus adapté à chaque profil tumoral.

Ces analyses moléculaires ont ainsi permis d’identifier de nombreuses altérations génétiques récurrentes dans les tumeurs de prostate, qui conduisent à la dérégulation de différents processus biologiques, comme ceux impliqués dans le développement de la prostate, la régulation du cycle cellulaire, la voie de signalisation des androgènes, l’organisation de la chromatine ou la réparation de l’ADN (Angeles AK, et al, 2018). Parmi les altérations impliquées, les plus fréquentes concernent les fusions de gènes impliquant ETS, les mutations des gènes SPOP, FOXA1, IDH1, des altérations chromosomiques au niveau des gènes c-MYC, EGFR, et NKX3.1, pour les formes localisées de cancer de prostate ; auxquelles s’ajoutent des altérations des gènes PTEN, TP53, AR (récepteur aux androgènes), CDK12, RB1, CDKN1B et des gènes de réparation de l’ADN pour les formes plus avancées (Angeles AK, et al, 2018). Si l’inhibition du récepteur aux androgènes reste le traitement pivot du cancer de la prostate métastatique, ces avancées moléculaires ont permis de développer de nouvelles thérapeutiques qui ciblent des voies biologiques complémentaires : (i) les inhibiteurs de PARP (Poly(ADP-ribose) polymérase) pour les tumeurs avec une altération de la voie de réparation de la recombinaison homologue de l’ADN associée aux mutations du gène BRCA2 ; (ii) la radiothérapie vectorisée qui cible l’expression tumorale du PSMA (Prostate-Specific Membrane Antigen) ; et (iii) l’immunothérapie pour les tumeurs présentant un taux de mutation élevé (Tumor mutation burden) associé aux mutations du gène CDK12 et au statut MSI+ (phénotype d’instabilité des microsatellites associés à des mutations des gènes de réparation des mésappariements de l’ADN).

*Référence complète dans la liste des publications de CeRePP :
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